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Le pays d'Emily a pour frontière la haie qui ceinture son jardin. De l'autre côté de la haie c'est l'étranger – l'Amérique. Un pays brutal et naïf, drapé dans un ciel bleu nuit dont les étoiles sont menacées d'extinction par une guerre civile. Ce pays apparaît peu dans l'écriture d'Emily. Elle n'est pas de ce monde et ne veut ni de sa guerre, ni de sa paix. Elle a mis ses yeux dans les yeux des morts et contemple toutes choses dans un étonnement sans fin.

Le manque est une brèche dans la muraille du monde – un appel d'air, auquel l'écriture répond. Un jour le jeune Austin, absent pour ses études, annonce son prochain retour à la maison. La mère dresse pour lui une table incendiée de bougies et de roses et prépare son plat préféré, une tarte à la crème (difficile à faire le jour où les poules ne donnent pas d'œufs, mais rien n'arrête une mère aimante). Les heures s'égrènent, les bougies fondent et le fils n'arrive pas : il a annulé son voyage sans prévenir personne. Emily bondit au cœur du cœur de sa mère, mesure l'étendue du désastre, écrit à son frère. « Personne n'a touché à ta chaise, elle est restée pendant tout le dîner comme l'emblème mélancolique de toutes les espérances détruites du monde. »

Le monde est plein et froid comme un galet. Un éclair fracasse le galet et en délivre l'âme : Emily voit une chaise vide au milieu des flammes de l'enfer. Elle écrit au ras de ce qu'elle voit.

Elle peut griffonner un poème sur l'enveloppe du chocolat dont elle se sert pour faire un gâteau, comme elle peut écrire dans la remise fraîche et calme où elle écrème le lait. Elle s'y prend à plusieurs fois, multiplie les brouillons, ne ménage pas sa peine. Il faut que tout soit sur la page comme le contraire d'un orphelinat : que plus personne ne soit abandonné.